JOHN ARMLEDER« Le travail de John M Armleder (1948, Genève) est polymorphe, il n’est pas identifiable à un médium, une procédure, un style formel, un univers plastique ou esthétique. Il se déploie sous de multiples apparences, se répète ou se métamorphose, sans jamais se développer autrement qu’au gré des circonstances. Si le hasard lui est d’un constant secours, c’est peut-être que toute son entreprise vise à minimiser son effort, la part qu’il prend à la mise en œuvre. La figure d’artiste qu’incarne Armleder serait celle d’un hyper-actif désœuvré, d’un producteur distrait, d’un minutieux désinvolte, d’un ingénieur des approximations, d’un génie de l’indécis.

Qu’elles soient spectaculaires ou à peine esquissées, monumentales ou minuscules, chatoyantes ou fades, laborieuses ou déjà faites, de sa main ou d’un autre, l’enjeu de ses œuvres semble toujours être de tenir à distance toute expressivité personnelle, toute empreinte héroïque. Séduisant ou déceptif, son art ne trouve sa réussite que dans la mise en crise de la notion de réussite, dans la construction aléatoire d’un système d’équivalence entre tous les items.

Si le destin des œuvres d’art est de venir se fondre dans les décors domestiques, urbains ou muséaux, celui des décors ne serait-il pas de se confondre aux œuvres ? C’est ainsi que les peintures font tapisserie, que les meubles se combinent aux tableaux pour se faire structures et supports picturaux, que les drapés muraux deviennent des toiles flottantes à l’échelle des salles, que les tableaux se drapent à leur instar, que les tables se retrouvent sculptures, que les sculptures se découvrent ready-made, que le kitsch se révèle sophistication, que l’accident est pris pour l’intention, que l’à-peu-près apparaît virtuose, le négligé calcul, l’impeccable leurre. Rien ici n’est à prendre pour autre chose qu’un change donné dans le champ indéfini des propositions au titre de l’art. Cela relève, chez Armleder, de la mécanique de précision ou, si l’on préfère, d’une nouvelle acception de la notion duchampienne de beauté d’indifférence. À ceci près qu’il y entre un fort coefficient de jeu où l’humour dédramatise les ruses de l’ironie, où le plaisir de l’improviste s’émancipe de la tyrannie du « dur désir de durer ». (texte de Christian Bernard)

Cette dérision se retrouve dans la contribution de l’artiste aux trois livres publiés par les éditions Take5. Ce dernier a délibérément permis à l’éditeur de jouer avec trois de ses motifs de prédilection, la tête de mort, la méduse et le cerveau. Ces motifs se décomposent jusqu’à devenir totalement abstraits, ironiques, et se recomposent au fils des pages, symbolisant le flux et le reflux de la vie.

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