Boitier Un Sentiment Empoisonne

Un Sentiment Empoisonné

Livre d’artistes publié en 2016, par les éditions Take5 (Genève).
Texte inédit, écrit en français pour le livre par Jean-Marie Rouart
illustré par 11 photographies originales de:
Valérie Belin - James Casebere - Mat Collishaw - Tim Davis
Mounir Fatmi - Eric Poitevin - Evangelia Kranioti - David Levinthal
Polly Morgan - Vik Muniz - Angélique Stehli
et par un dessin gravé en embossage de John Armleder
Graphisme réalisé par Gina Donzé pour Base Design Geneva,
en collaboration avec Céline Fribourg
Boîtier dessiné et fabriqué par Piergiorgio Robino pour Studio Nucleo,
en résine, carbone et cendres
Cahier de traduction comprenant la traduction du texte en anglais,
par Peter Doherty, ainsi que des citations philosophiques et littéraires
choisies par les artistes
Chaque copie est numérotée et signée par tous les artistes
Tous les tirages sont également signés
Dimensions: 45 x 28,5 x 5 cm
Edition de 35 exemplaires
Un Sentiment Empoisonné

Dans le texte Un Sentiment Empoisonné, Jean Marie Rouart questionne notre rapport à la mort.

En tant que symbole, la mort est l’aspect périssable et destructible de l’existence. Elle indique ce qui disparaît dans l’inéluctable évolution des choses: elle se rattache à la symbolique de la Terre. Mais elle est aussi une porte qui s’ouvre vers les mondes inconnus des Enfers ou des Paradis ; ce qui montre son ambivalence, qui la rapproche des rites de passage. Elle est introduction et révélation. Dans cette perspective, Jean Marie Rouart interroge la capacité de l’homme à faire de sa propre mort un événement non subi et dégradant mais héroïque, qui le délivrerait des forces régressives et négatives tout en dématérialisant et libérant les forces ascensionnelles de l’esprit.

Le mystère de la mort est traditionnellement ressenti comme angoissant, et figuré sous des traits effrayants.

La variété des œuvres présentées dans le livre révèle la prégnance et la profondeur des angoisses suscitées par la « Grande Faucheuse »: irruption trop brutale d’une fin irrémédiable, guerre, terrorisme, disparition des êtres chers, crainte diffuse de l’Enfer, quête spirituelle sans fin et inassouvie, sont les sujets explorés librement par les artistes pour illustrer le texte écrit pour le livre par Jean Marie Rouart, et évoquer de façon poétique le désarroi de l’homme devant la fragilité de sa condition.

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Outre le fait que la photo immobilise le temps et gèle le mouvement (selon Barthes, « La mort est l’eidos de la photographie »). Ce rapport particulier à l’expérience temporelle, consistant à montrer du passé au présent, a souvent conduit à la relier à la mort, à la pétrification, au memento mori. La diversité des interprétations du thème de la mort par les artistes dans le livre Un Sentiment Empoisonné nous montre l’étendue de la fascination qu’exerce le repos éternel sur l’homme.

Que ce soit la taxidermie saisissante et surréaliste de Poly Morgan, l’illustration épique du mythe d’Eros ailé et ténébreux de Mat Collishaw, la « vanité aux ampoules » de Tim Davis qui symbolise de façon très poétique l’éphémère, la fragilité de la vie et notre quête spirituelle pour trouver la lumière, les œuvres rassemblées dans le livre nous montrent à quel point la symbolique de la mort imprègne notre culture.

Certains artistes la représentent tour à tour comme un choc frontal intemporel (Eric Poitevin), une forme de stérilité ou d’aridité qui interrompt le cycle vital (James Casebere), une robe précieuse inanimée et figée (Valérie Belin), comme le signal d’un arrêt définitif et irréversible.

D’autres montrent l’évolution de sa perception à travers l’histoire: Vik Muniz a choisi de reconstruire une planche de l’extraordinaire Atlas d’Anatomie de Francesco Bertinatti (1837) représentant à la fois un outil médical fiable et une réflexion métempirique de l’homme sur la brièveté de son existence. David Levinthal, en recréant avec des jouets une scène de la guerre d’Irak, expose la dérision de la bataille avec une impression de réalisme perturbant. Mounir Fatmi, en soulignant l’instrumentalisation de la mort à des fins de domination religieuse, dénonce sans ambiguïté l’intégrisme et pose l’éducation et la culture comme remparts contre le fanatisme.

Deux photographies exposent enfin des versions diamétralement opposées de la mort.

La photographie d’Evangelia Kranioti a une profonde résonnance métaphysique. Cette étendue de mer nimbée de lumière est comme un paysage de transition, abstrait et spirituel, dont les tonalités se fondent comme pour révéler le passage vers un au-delà.

Pour clore cette exploration, la photographie d’Angélique Stehli nous montre l’image brutale et saisissante d’une crémation. C’est la mort qui nous regarde finalement en face sans détour ni symbole.

Le graphisme du livre est délibérément sobre, et fonctionne en pendant avec celui du livre Eros et Pulsion de Mort. La numérotation des pages, évoquant le nombre d’années qu’il nous reste à vivre, diminue en avançant dans le livre. Le triangle découpé sur les pages de protection des photographies symbolise le tombeau. A travers le livre est décliné le motif de tête de mort, emblématique de l’œuvre de John Armleder, que l’artiste désarticule et recompose au fil des pages pour créer des espaces de respiration entre les œuvres.

Le boitier du livre a été réalisé par Piergiorgio Robino, du Studio Nucleo. Le travail de ce designer italien explore la structure du temps, sa matrice et son existence à travers la forme, en entremêlant des traces d’époques différentes dans des objets en trois dimensions. Il tente de préserver la mémoire des objets tout en inventant des formes qui appartiennent au futur. Pour le livre Un Sentiment Empoisonné, Studio Nucléo a travaillé avec la résine, son matériau de prédilection puisqu’il permet d’ « emprisonner » les vestiges du passé. Le boîtier du livre, très sculptural et solennel, incorpore du carbone, des cendres et des matières organiques liquides, en référence aux états de vie et de mort du corps humain et à la phrase d’Horace « Pulvis et umbra sumus ».

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