LIBRARY OF ABSENCE
Livre d’artistes publié en 2023 sous la direction éditoriale de Céline Fribourg.Sculpture créée par Conrad Shawcross pour le livre : Valise en aluminium anodisé, abritant un dispositif de projection rotatif rétroéclairé par des diodes lumineuses, et soixante-quatre disques en carton de différentes couleurs.
Chaque disque représente par ses perforations l’un des principaux motifs des recherches géométriques de l’artiste.
Textes inédits (édités par David Frankel et Amie Corry) : « Expanded Visions : Introduction à l’histoire et à la symbolique du jeu d’échecs »,
par Céline Fribourg.
Graphisme par Aurèle Sack, avec la police LL Brown
Cahier de textes (25 x 25 cm) imprimé sur papiers Fedrigoni Sirio Noir 170 g
et Fedrigoni Woodstock Grigio 170 g.
Dos carré cousu, emboîté dans une couverture bodonienne en palissandre de Santos, recouverte d’un damier noir et blanc imprimé en sérigraphie.
Photographie originale signée par Aleph Uteza Lysimaque, imprimée sur papier Hahnemühle Photo Rag 310 g.
Édition de trente exemplaires signés par les artistes.
Dans le livre d’artiste Library of Absence, nous explorons les idées d’expansion et d’infini à travers la géométrie, le motif et le rythme. L’infini hante les êtres humains depuis qu’ils ont posé les yeux sur un ciel bleu ou une nuit étoilée. À l’échelle de l’univers, l’être humain est minuscule, mais il est conscient de ses limites et capable de les conceptualiser. Au fil des siècles, les philosophes, les scientifiques et les artistes ont ainsi tenté de donner un sens à l’univers à travers la géométrie. La croyance de Platon selon laquelle certaines formes et proportions géométriques seraient imprégnées d’un sens sacré et d’un symbolisme religieux pourrait même conduire à supposer que le cosmos ait été organisé selon un plan précis, défini par une force supérieure. Souvent qualifiées d’« architecture de l’univers », les géométries sacrées imprègnent le monde naturel, de la structure de l’ADN à la spirale logarithmique d’une coquille de nautile, et sont également utilisées dans la conception de structures humaines, telles que les pyramides, les églises, les temples et les mosquées.
Nous avons en effet les moyens de construire des modèles abstraits, qui nous permettent d’objectiver et de comprendre la réalité qui nous entoure. Les mathématiques semblent être un outil idéal pour modéliser l’infini. La géométrie imprègne notre monde : elle ponctue la construction de la nature, que ce soit à travers les fractales, les séries infinies ou bien d’autres exemples.
Library of Absence a été imaginé comme un territoire intime propice à l’émerveillement et comme « une machine à appréhender l’infini ». En s’ouvrant, ce livre d’artiste déploie une quasi-infinité de paysages lumineux, dessinant par ses projections de motifs géométriques une multitude de possibilités. Conrad Shawcross a conçu l’étui du livre comme un hybride inspiré de deux objets : une valise magique surnommée « umbrette », en hommage au mot italien ombra (qui signifie « ombre »), et un tourne-disque portable des années 50 baptisé « Dancette », évoquant pour l’artiste de précieux souvenirs d’enfance.
Dans la lignée de la série d’œuvres intitulées Patterns of Absence, le livre révèle une compréhension aiguë de la géométrie et de la perspective, utilisées par l’artiste pour questionner et redéfinir l’espace. Le dispositif qu’il a créé pour le livre Library of Absence mystifie l’espace en projetant sur nos murs un nombre quasi infini de motifs lumineux apériodiques. Conçu comme un système de projection complexe, il se compose d’un moteur, d’une source lumineuse et d’un axe sur lequel deux disques de carton perforé tournent dans des directions opposées. Leur contre-rotation incrémentale permet à la lumière de pénétrer à travers les découpes qui ponctuent leur surface. Tels des vitraux, ces disques sont ainsi activés par la lumière qui les traverse. Ils évoquent à la fois les Rotoreliefs de Marcel Duchamp et les tableaux de l’art optique.
Comme le suggère le titre Library of Absence, les motifs naissent des vides laissés par les formes découpées. Les tableaux lumineux créés par ces motifs superposés et éphémères donnent lieu à une expérience immersive et méditative, évoquant la lumière changeante de la mer, le mouvement d’un tourbillon ou un vol d’étourneaux au soleil.
Devant ce livre d’artiste qui mêle le texte à l’image, on peut se demander quel lien unit cette œuvre, sorte de lanterne magique projetant sur le mur des constellations infinies de motifs et d’ombres, et le jeu d’échecs. Quelle connexion établir entre le champion du monde d’échecs russe Vladimir Kramnik et l’artiste britannique Conrad Shawcross ?
Tous deux créent des mondes à l’intérieur de notre monde, nous invitant à élargir notre vision. En effet, jouer aux échecs est aussi un moyen d’appréhender l’infini : bien que l’échiquier ne comporte que soixante-quatre cases, les mathématiciens prétendent qu’il y aurait plus de variantes possibles dans une partie d’échecs qu’il n’y aurait d’atomes dans l’univers observable. En raison de cette complexité, commencer une partie revient à ouvrir une boîte de Pandore, à naviguer dans un nouvel univers grâce à la seule puissance de l’intelligence humaine. Le jeu d’échecs nous permet de construire une arborescence de combinaisons possibles qui se complexifie à mesure que la partie progresse. Chaque configuration de jeu offre une succession différente de motifs. La reconnaissance de ces schémas est au cœur des sciences cognitives. Le potentiel métaphorique d’un jeu d’échecs est presque inépuisable. Et comme dans toutes les compositions, aucun élément n’est véritablement indépendant, mais relié à l’ensemble.
Le texte de Library of Absence est divisé en deux parties : d’une part, l’interview de Kramnik, qui met en lumière ses réflexions sur la stratégie, la maîtrise de soi, l’équilibre, le temps, la beauté, l’expansion et la vision profonde ; d’autre part, une brève histoire des échecs suivie d’une étude de leur influence sur la philosophie, la littérature, la sociologie, la linguistique et les arts.
La conception graphique du livre, confiée au designer suisse Aurèle Sack, également à l’origine de la typographie, active la puissance symbolique du carré et du cercle à travers une construction dynamique de la maquette.
Enfin, un tirage photographique original intitulé La Bataille de l’Ombre illustre le texte en faisant directement référence à Kramnik. Cette image d’Aleph Uteza Lysimaque pourrait revendiquer une filiation avec l’œuvre de Pierre Soulages par la profondeur saisissante de ses dégradés de noir. Elle représente la célèbre partie d’échecs de l’automne 2000, au cours de laquelle Kramnik a battu Garry Kasparov et est devenu champion du monde, et saisit par son atmosphère mystérieuse.