Passage/s

Passage/s

Livre d'artiste créé en 2022 par Do Ho Suh et les éditions Take5
"La peinture orientale tente de saisir l'essence des choses plutôt que leur
apparence superficielle. Je perçois l'espace et le temps d'une manière différente de celle de l'Occident." Do Ho Suh

Publié en 2022 par les éditions Take5, Genève,
sous la direction éditoriale de Céline Fribourg et Amie Corry.
Modélisation des dessins de l’artiste par Nicola Chan.
Œuvre de Do Ho Suh : « Peep-show » architectural lumineux en carton,
impression sur film transparent, découpes et pliages.
Enveloppée dans un étui dépliant en carton recouvert de toile bleue.
Lutrin en chêne huilé blanchi conçu par Adrien Rovero,
en collaboration avec Do Ho Suh et Céline Fribourg.
Texte de Louis-Philippe Dalembert, spécialement écrit en français pour le livre,
traduit en anglais par Aurélie Levy et édité par Amie Corry,
Imprimé sur des papiers Takeo.
Conception graphique par Marine Langenegger et Emanuele Fiori
pour Epok Design Studio, en collaboration avec l'éditeur.

Une édition de trente exemplaires, numérotés et signés par l'artiste.
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Ce « peepshow book » créé par l'artiste sud-coréen Do Ho Suh évoque un théâtre miniature lumineux. Il propose au spectateur une déambulation mentale poétique en l’invitant à contempler une succession de dessins d'architecture mystérieux. Chaque seuil imprimé et découpé, que l’artiste qualifie de « memory hub » représente l’un des espaces dans lesquels il a vécu à un moment de sa vie.

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Sculptures phares de l’œuvre de Do Ho Suh ces couloirs, passages, recoins et corridors recréés à l’échelle 1 :1 en tissus fin et translucide puis juxtaposés par l’artiste, suscitent une réflexion sur l'éphémérité de la vie et la subjectivité du temps et de la mémoire. Ces espaces transitoires communicants évoquent métapho-riquement le va-et-vient entre les cultures lié à l’exil, et la porosité des sphères publiques et privées. Ces « memory hubs » représentent la nostalgie d’une époque révolue, celle de la douceur des années de l’enfance.

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Par son œuvre, l’artiste cherche à réactiver ce sentiment de sécurité de l’enfance, en l’extrayant d’un emplacement géographique et d’une époque déterminée.

À un niveau intime, ces espaces vides incarnent les réflexions métaphysiques de l'artiste sur la vie : "Je vois la vie comme un passage, sans début ni destination fixes", déclare Suh. "Nous avons tendance à nous concentrer sur la destination tout le temps et à oublier les espaces intermédiaires. Mais sans ces espaces banals auxquels personne ne prête vraiment attention, ces zones grises, on ne peut pas aller du point A au point B."

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Le livre Passage/s se déploie comme un accordéon. Lorsqu'il est fermé dans sa reliure toilée, la succession des Hubs ne peut être perçue qu'à travers un trou, en référence à l'objectif photographique d'un appareil photo, et à l'histoire des peepshow books, populaires aux XVIIIe et XIXe siècles. Le mouvement d'ouverture et de fermeture du livre rappelle les premiers équipements photographiques, ainsi que l'importance du mouvement dans la pratique de Suh, dans laquelle les installations architecturales sont "activées" par le spectateur.

Cette organisation symbolique de l'espace en relation avec la mémoire, souligne le lien entre la pensée et l'image et rappelle la méthode loci. Cette méthode mnémotechnique, pratiquée depuis l'Antiquité et probablement inventée par le poète Simonide de Céos, a été décrite par Cicéron et Quintilien. La méthode Loci - qui consiste à visualiser des espaces afin de stimuler la mémoire - privilégie le paysage imaginaire et les inscriptions de l'homme dans ce paysage. Elle met également l'accent sur la notion de déambulation, par laquelle les souvenirs peuvent être évoqués, les images étant appliquées virtuellement à l'architecture.

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À l'origine, les peepshows en papier étaient des versions portables des grands appareils optiques qui parcouraient les pays d'Europe afin de faire vivre une expérience spatiale à un public. La pratique de Suh est profondément investie dans l'idée d'espace transportable - ses sculptures Fabric Architecture peuvent être rangées dans des valises - comme une méthode de survie nécessaire à une vie itinérante.

Le texte Exils du Temps, spécialement écrit pour le livre par l'écrivain haïtien Louis-Philippe Dalembert, explore les notions de liberté, d'exil et de déracinement, et développe le concept de pays-temps. En écho à l’œuvre de Suh, Dalembert expose notre inclination à recréer une image idéalisée de nos pays d'origine, préservant mentalement et émotionnellement un attachement à l'expérience de l'enfance.

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La mise en page du texte matérialise dans sa conception graphique cette sensation de déracinement. Pour le livre, le studio Epok-Design a créé une typographie inédite, qui évoque notre désarroi face à l’exil et au changement, avec ses pleins et des déliés qui évoquent le passé, l’absence d’empattements qui figure la modernité. Sa rondeur rappelle l'enfance.

Les titres des chapitres subissent des transformations au fil de la lecture des pages : La moitié basse des lettres se décalent vers la droite de plus en plus fortement, évoquant ce sentiment révélé par l’exil d’être “scindé en deux”, déchiré entre son pays d’origine et son pays d’adoption, au fil du temps. En parallèle de cette évolution de la forme même de la typographie s'effectue une évolution dans l'espace. En effet, au fil des pages, la position des titres change. Peu à peu, ils descendent dans la page. Au cours de cette transformation enclenchée par l’exil temps ne s'arrête pas, et on ne revient jamais en arrière.

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Les graphistes ont souhaité apparenter la ponctuation aux événements qui ponctuent eux aussi une vie : Les notes bibliographiques sont délibérément placées en face du groupe de mots auquel elles se rattachent, et non en bas de page. Elles bousculent ainsi le déroulement conventionnel du texte pour faire écho au déracinement, qui transforme quelqu’un, sa vie, et sa vision.

Le livre est posé sur un lutrin dessiné par le designer Suisse Adrien Rovero, qui permet de plonger dans l’architecture du livre sans se courber, pour mieux s’y perdre. Il est réalisé par un artisan Suisse, en chêne massif très délicatement blanchi à l’huile.

Sa forme très pure évoque l’oiseau migrateur.

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